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Banques françaises : fortes et faibles à la fois

Créé le

18.02.2022

La grande force du modèle économique des banques françaises réside dans une meilleure capacité à absorber les chocs que leurs concurrentes européennes. Elles ont la fierté – et l’efficacité – du modèle de banque universelle. Mais en dépit des excellents chiffres publiés récemment, elles accusent un retard sur certains indicateurs de rentabilité.

Les six grands groupes bancaires français ont publié à l'heure où nous bouclons ces pages, à l’exception de la Banque Postale qui dévoilera ses chiffres début mars. Le point d’atterrissage se dessine clairement : un produit net bancaire (PNB) aux alentours de 160 milliards d'euros et plus de 32 milliards d'euros de résultat net [1] . Pour les revenus, c'est environ 10 % de plus que la moyenne de 2018-2020. 45 % de mieux pour le résultat net. 2021 s'annonce donc comme un cru exceptionnel pour le secteur bancaire français.

Regardons-le de près. Par ordre alphabétique, BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, La Banque Postale et Société Générale. À eux six, ces mastodontes représentent plus de 80 % des actifs du secteur bancaire selon les données de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) . Leur part de marché est encore plus grande dans la collecte de l'épargne bancaire (plus de 85 %). Ces groupes peuvent également s'appuyer sur leur position dominante sur le marché de l'assurance vie où cinq des six premiers acteurs sont des filiales de groupes bancaires. Seul BPCE n’y figure pas, tandis qu’Axa réussit à prendre la troisième place du podium.

Mutualisme et capitalisme face à face

Monolithique, cet ensemble ne l’est pas vraiment. Il inclut d'une part trois groupes mutualistes, leaders sur le marché de la banque de détail en France : Crédit Agricole, BPCE et Crédit Mutuel. D'autre part, deux groupes cotés en bourse (BNP Paribas et Société Générale, sachant que Crédit Agricole SA, l’organe central du Groupe Crédit Agricole, est elle aussi cotée sur le marché). Enfin, une banque de création plus récente, indirectement détenue par l'État : la Banque Postale.

Il existe aussi des disparités assez marquées en termes de modèle d’affaires. Ces derniers sont plus ou moins diversifiés en raison des choix de gestion propres à chacun des six groupes. À titre d'exemple, la Société Générale s'est historiquement davantage tournée vers sa banque de financement et d’investissement (BFI). Et en particulier vers certaines activités de marché sophistiquées. Des métiers bien margés mais volatils ! Cette relative concentration par rapport aux autres banques françaises ainsi qu'une moins bonne dynamique commerciale en banque de détail en France expliquent une performance en deçà de la concurrence sur les dix dernières années. De son côté, BNP Paribas a poursuivi un développement métier et à l'international plus équilibré et cohérent, tandis que Crédit Agricole a su se recentrer sur ses forces suites aux déboires internationaux du début de la dernière décennie et faire fructifier son ADN de banque coopérative avec un appétit modéré pour le risque.

BPCE et la Banque Postale subissent quant à elles une structure de coûts plus rigide et une diversification moins aboutie que Crédit Agricole ou encore Crédit Mutuel. BPCE et la Banque Postale ont toutefois engagé des plans visant à améliorer leur efficacité opérationnelle, renforcer leur diversification métier à moyen terme et, dans le cas de BPCE, à simplifier l'organisation du groupe.

La banque universelle comme socle commun

Afin de s'assurer une rentabilité satisfaisante et fidéliser leur clientèle de particuliers et d'entreprises, les banques françaises font le pari de ventes croisées et d'une diversification de leurs modèles d'affaires, suivant une logique de banque universelle. Malgré des états d'avancement différents, ce modèle de banque universelle est plébiscité et à ce jeu, les banques françaises sont plus douées que la plupart de leurs homologues européennes.

À la clef, des résultats équilibrés et résilients à travers les cycles économiques, ce que les investisseurs et superviseurs valorisent. La grande force du modèle d'affaires des banques françaises réside principalement dans une meilleure capacité d'absorption de chocs que la plupart de leurs concurrentes européennes. Son modèle a fait ses preuves lors de crises passées, et de nouveau pendant la crise de la Covid. BPCE et Société Générale, les deux banques françaises ayant le plus souffert en 2020, ont surtout payé le tribut d'une hyperspécialisation de leur BFI, notamment en dérivés actions et produits structurés qui ont subi de plein fouet la violence du choc de marché au printemps 2020. Leur rebond a d'ailleurs été d'autant plus spectaculaire en 2021.

Des effets structurels défavorables

Modèle défensif, mais pour autant rentable ? Avec une telle structure de système bancaire, où des groupes non cotés en bourse, et donc potentiellement moins soumis à des impératifs de retour sur fonds propres, sont prépondérants, on pourrait penser que la rentabilité ne serait pas au rendez-vous. Dans l’ensemble pourtant, les banques françaises sont plutôt rentables. Des efforts supplémentaires seront toutefois nécessaires afin de renforcer leur résilience et leur performance.

L'environnement actuel se caractérise par une concurrence féroce et des marges écrasées sous le poids de facteurs conjoncturels comme le faible niveau des taux d'intérêt. Mais il convient aussi d’avoir en tête des facteurs structurels négatifs. Certains sont spécifiques au marché, comme la maturité de l'industrie bancaire ou la structure de la concurrence en France. D’autres plus globaux, comme les exigences réglementaires, notamment par rapport à des activités financières peu régulées. Enfin dernier sujet majeur : le service bancaire est devenu une « commodity » ! Sur les services bancaires basiques, cela devient assez difficile pour les clients de distinguer une offre d’une banque concurrente. Conséquence de ce processus, les clients accordent davantage d'importance au prix. Il devient donc d'autant plus impératif pour les banques de parvenir à maximiser la satisfaction client tout en maîtrisant leurs coûts fixes. Tous ces facteurs structurels viennent grever la rentabilité par rapport à ce que le secteur connaissait avant la crise financière de 2008.

Des marges plus faibles que la moyenne européenne

Et pourtant, un PNB aux alentours de 160 milliards d'euros et plus de 32 milliards d'euros de résultat net en 2021. En absolu, ces chiffres impressionnent. Par autant, en dépit de leur force de frappe commerciale et leur modèle diversifié, les banques françaises ne dégagent pas des indicateurs de revenus ou de marge si impressionnants eu égard à leur taille. En moyenne, le rapport du PNB sur les actifs moyens figurant sur leurs bilans s'élève à seulement environ 1,6 %-1.7 % pour les banques françaises contre 1,9 % pour les 20 principaux groupes bancaires européens. La faute notamment à une marge nette d'intérêt faible aux alentours de 1 %, mais également à des structures de coûts assez lourdes.

La marge nette d'intérêt des banques françaises a souffert des vagues successives de renégociations sur les prêts immobiliers, surtout en 2015-2017, et de taux au plancher. Elle démontre par ailleurs une plus grande inertie que dans d'autres systèmes bancaires européens ayant une meilleure capacité à retarifer leurs passifs et actifs. C'est le cas notamment en Espagne, au Danemark ou en Suède, où les taux variables sont plus fréquents dans les crédits accordés. Mais là n’est pas la seule différence entre France et Europe.

Crédit immobilier entre effet positif et pervers

Certes, la faiblesse des taux à la production provient en grande partie de l'environnement actuel. Mais elle est aussi le résultat de la posture concurrentielle des banques françaises qui utilisent le crédit immobilier davantage comme produit d'appel. Les prêts immobiliers leur permettent en effet de conquérir de nouveaux clients et les équiper en produits complémentaires, comme l'assurance emprunteur, l'assurance vie et non-vie, le crédit à la consommation, les solutions d'épargne mais aussi le leasing ou la téléphonie. Les faibles marges sur le crédit ont donc vocation à être compensées par des revenus additionnels.

Taux plus faibles d’un côté, et coût moyen de la ressource de bilan légèrement supérieur de l’autre. Nous estimons que ce dernier s’élève entre 0,60 % et 0,90 % dans l’Hexagone, contre généralement 0,50 % ou moins chez d'autres grandes banques de la zone euro. Cette différence de coût de financement global s'explique en partie par la prépondérance de l'épargne réglementée (voir encadré), une quasi-spécificité française. Et économiquement, ce coût n'est que partiellement compensé par la commission de centralisation des dépôts à la Caisse des Dépôts.

Le poids des agences dans le coefficient d'exploitation !

Dans l'ensemble, les banques françaises ont également des coefficients d'exploitation plus élevés que leurs concurrentes européennes. En moyenne, il s’élève à environ 67 % pour les six principaux groupes bancaires français contre 64 % pour 20 grandes banques européennes. Cela s'explique d’abord par des structures de coûts plus lourdes, en partie en raison de réseaux d'agences plus denses que dans d'autres pays. Autre élément important : des coûts réglementaires très élevés, en particulier les contributions au fond de résolution unique dont le mode de calcul fait des banques françaises les plus importantes contributrices malgré de meilleurs profils de risque que certaines grandes banques européennes. Sur l'efficacité opérationnelle, deux établissements se distinguent toutefois. Crédit Agricole et Crédit Mutuel Alliance Fédérale ont un coefficient d'exploitation proche – voire meilleur ! – que la moyenne européenne. Explication : une meilleure efficacité de leurs systèmes informatiques et une meilleure discipline de contrôle des coûts notamment dans certains métiers spécialisés.

Par conséquent, la rentabilité du secteur n'est plus si exceptionnelle lorsque l'on compare des ratios clés. En moyenne, le résultat d'exploitation (après dépenses opérationnelles et coût du risque) sur encours pondérés s'élève à environ 1,9 % en 2021 pour les six banques françaises contre environ 2,2 % pour les 20 principaux groupes bancaires européens. Si Crédit Mutuel Alliance Fédérale, Crédit Agricole et BNP Paribas s'en sortent généralement mieux que la moyenne française, la plupart de leurs indicateurs de rentabilité demeurent à des niveaux proches de la moyenne européenne.

La hausse des taux favorable à moyen terme

Quid de l’évolution de cette rentabilité ? De toute évidence, une politique monétaire plus restrictive, s'appuyant sur des hausses de taux mesurées et progressives, permettrait d'améliorer les marges nettes d'intérêt des banques françaises du fait d'une moindre élasticité-prix de leur coût de refinancement et de la retarification graduelle de la nouvelle production de crédits. Même si les effets positifs ne seront vraisemblablement pas perçus immédiatement, cela constituerait le principal facteur exogène d'amélioration de la rentabilité du secteur à moyen terme, sauf s'il s'accompagne d'une hausse brutale et inattendue du coût du risque dans un contexte économique dégradé. D'après les sensibilités au risque de taux publiées par les banques, nous estimons que leur PNB pourrait progresser de 1 % à 5 % par an en cas de hausse  des taux d'environ 50 points de base, toutes choses égales par ailleurs.

Les sillons à creuser

Afin de ne pas s'en remettre aux aléas de la politique monétaire, les banques françaises devront donc poursuivre leurs efforts dans le digital et l'optimisation du maillage territorial. En effet, malgré la percée des usages digitaux dans les services financiers, la France compte davantage d'agences pour 10 000 habitants qu'en Allemagne, Italie ou Belgique et la réduction des réseaux ces dernières années a été nettement moins marquée qu'ailleurs en Europe. Outre le travail nécessaire afin de redéfinir la taille de leurs réseaux d'agences aux évolutions des besoins de la clientèle, les banques devront accélérer leurs investissements informatiques afin de maintenir à niveau les infrastructures existantes et rationaliser le développement de nouveaux outils. Certains établissements étudient également la possibilité de mettre en commun leurs distributeurs de billets, ce qui pourrait générer d'importantes économies de coûts. Tous ces efforts, déjà engagés, devraient permettre de continuer à améliorer la satisfaction client et, donc, protéger les parts de marchés des banques contre les nouveaux entrants.

Autre sujet : la simplification des structures. Certains groupes se sont déjà engagés dans cette voie, plus particulièrement chez BPCE avec le rachat des minoritaires de Natixis, à la Société Générale avec la fusion des réseaux Société Générale et Crédit du Nord, ou encore à La Banque Postale. Mais d'autres se révèlent encore nécessaires. Selon nos estimations, d'importantes économies de coûts pourraient passer par la rationalisation des organigrammes juridiques et la réduction du nombre d'entités légales. Autre piste : la cession d'activités sous-dimensionnées ou mal arrimées, comme, par exemple, en banque de détail à l'international ou dans certains métiers spécialisés de la BFI.

Enfin, l'amélioration de la rentabilité des banques françaises passera vraisemblablement aussi par l'approfondissement de leur principal avantage concurrentiel, à savoir leur diversification. Des métiers comme le leasing automobile (ou les solutions liées à la mobilité), l'assurance dommages (notamment via l'équipement du fonds de commerce), les solutions d'épargne en architecture ouverte et orientées vers la clientèle « mass-affluent » ou le paiement fractionné présentent des perspectives de retour sur fonds propres nettement supérieures aux activités bancaires traditionnelles et plus matures. Et les banques de l'Hexagone poussent clairement leurs feux !

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº866
Notes :
1 Résultats de la Banque Postale et du Crédit Mutuel Arkea évalués en annualisant leurs résultats du 1er semestre.